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Des îles qui n’en sont pas

Des îles qui n’en sont pas

L’Eyja, Alger et les autres

Sur quelques procédés de dénomination toponymique

Publication initiale dans Défense de la langue française n° 137  3e trimestre 2010

Nous avons vu dans le précédent numéro[1] que le nom du volcan islandais, l’Eyja, signifiait « des îles ». Il n’est pas exceptionnel que le nom propre d’un objet géographique soit formé d’un mot générique différent de sa nature. Par exemple Le Cap ou Trois-Rivières sont des villes.

Un nom commun est employé comme nom propre, mais la signification n’en est pas perceptible quand le mot est étranger. On le dit alors démotivé. Il arrive que le nom soit simplement le générique de l’objet. Ainsi Fidji, qui s’écrit Viti en fidjien, signifie « île ». Appeler l’archipel les îles Fidji est donc étymologiquement un pléonasme[2], il suffit de dire les Fidji. Le Val d’Aran aussi est tautologique, puisque Aran vient de « vallée » en basque.

Les apparences sont parfois trompeuses, Islande n’est pas adapté de l’anglais Island « île », mais de l’islandais Ísland « pays de la glace »[3]. Le nom d’Isola, village du Mercantour, connu pour sa station à 2 000 m, ne vient pas de l’italien isola « île » ; sa forme dialectale actuelle Lieusola reste plus proche de Leudola, attesté au 11e siècle, d’une racine prélatine « pente herbeuse ».

La dérivation sémantique peut relever de différentes figures de rhétorique.

Quand le générique employé comme toponyme est différent de la nature de l’objet ainsi dénommé, le déplacement a pu s’opérer par métonymie[4]. Les îles de référence pour l’Eyja sont, au large, les Vestmann, du nom de la principale île de l’archipel.

Le Cap-Vert, n’est pas une péninsule, c’est la République de l’archipel des îles du Cap-Vert. Le cap Vert, est, lui, au Sénégal ; c’est la presqu’île sur laquelle s’est développée Dakar. Cette ellipse est fréquente, ex. : les îles (qui se trouvent au large) d’Hyères.

Alger vient de l’arabe Al-Djaza’ir الجزائر « les îles » (en algérien Dzayer). La référence, les îles des Mezghenna, a disparu, ces îlots côtiers ayant été intégrés aux infrastructures du port. Au singulier, الجزيرةal Djazira est aussi le nom de la chaîne internationale de télévision qatarienne. La référence, une terre entourée d’eau, est alors une presqu’île, celle du Qatar, ou certainement, la péninsule arabique.

Des géographes français employaient, au 19e siècle, le même mot, Aldjezireh ou Aldjezira, pour désigner la Mésopotamie (du grec « entre les fleuves »). Sur la même étymologie, Algésiras, en Andalousie, a été ainsi dénommée parce qu’elle était un îlot de verdure sur cette terre aride. La figure est alors métaphorique[5].

Selon l’interprétation habituelle, Lille et l’Île-de-France relèveraient du même procédé : Lille, à l’origine, entourée de marais, et l’Île de France, délimitée par les principaux cours d’eau de la région. À défaut d’attestations anciennes, ce type d’explication est souvent une remotivation intuitive. Une telle étymologie, dite populaire (à tort, car dans la plupart des cas ce sont des « savants » qui les ont produites), joue pleinement son rôle social. L’analyse philologique, prenant en compte la forme flamande Rijssel, fait dériver Lille d’un anthroponyme (nom de personne) germanique Rizili. Cependant, la remotivation, en Ylensis puis Insula « l’île » en latin, remonte aux 10e et 11e siècles. Lille est donc le fruit de cette double origine par convergence morphosémantique.

Ange Bizet

Cercle François-Seydoux

 

[1] « Des volcans et des îles » DLF n° 236 p. 52. Sur Eyja en français pour Eyjafjallajökull  en islandais.

[2] Les deux plus grandes sont simplement Viti Levu « Grande-Île » et Vanua Levu « Grand-Pays» ou « Grande Terre ».

[3] « De la glace » plutôt que « de glace » comme on le voit souvent. Toutes les langues n’ont pas en cela la précision du français, la traduction mot à mot en néglige la subtilité.

[4] Métonymie : Cf.DLF, n° 211, p. 41.

[5] Métaphore : Cf.DLF, n°186, p. 15.

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